Mai 2016, Ross fait ses dĂ©buts dans le très respectable cabinet d’avocats Baker­Hostetler, fondĂ© un siècle plus tĂ´t Ă  Cleveland (Ohio) par l’ancien ministre de la dĂ©fense Newton D. Baker. SpĂ©cialiste des faillites d’entreprises, Ross n’ira pourtant jamais plaider devant un juge. Il a Ă©tĂ© choisi pour effectuer un travail ingrat et rĂ©pĂ©titif : analyser pour d’autres avocats des milliers de documents sur les faillites d’entreprises.

Ross ne se plaindra pas, car Ross est un robot. Sorti des laboratoires d’IBM, il s’inscrit dans la« filiation » de Watson, l’intelligence artificielle capable de parcourir 200 millions de pages en trois secondes et qui s’est rendue cĂ©lèbre en 2011 en battant un ĂŞtre humain au jeu tĂ©lĂ©visĂ© Jeopardy.

Baker­Hostetler n’est pas le seul cabinet Ă  avoir choisi Ross : une demi-douzaine de firmes ont recours Ă  ses services. Et la France s’intĂ©resse elle aussi au robot. Il est en phase de Â« test » au cabinet amĂ©ricain Latham & Watkins, implantĂ© Ă  Paris.

Comme Ross, plusieurs « legal bots » ont Ă©tĂ© crĂ©Ă©s ces dernières annĂ©es utilisant les avancĂ©es du machine learning (apprentissage des machines) et de l’intelligence artificielle. En Angleterre, un « robot lawyer Â», plus prĂ©cisĂ©ment un « chatbot » (logiciel conversationnel) revendique avoir fait annuler 160 000 contraventions Ă  des Londoniens depuis son lancement en 2015. Le Français Louison Dumont, crack de l’informatique de 19 ans, expatriĂ© dans la Silicon Valley, vient de crĂ©er Peter, un avocat virtuel spĂ©cialisĂ© dans la crĂ©ation de start-up. L’entreprise française Yperlex promet Ă  son tour la naissance de LiZa, Â« premier avocat robot » pour dĂ©cembre.

Cols blancs menacés

Donner un prĂ©nom Ă  ces programmes d’intelligence artificielle, c’est les humaniser pour les rendre sympathiques et rĂ©aliser un coup marketing. Ross, ce robot dĂ©vouĂ© aux avocats faits de chair et de sang, a mĂŞme un slogan : Â« Chaque minute passĂ©e Ă  effectuer une recherche lĂ©gale est une minute perdue. Â» C’est aussi envoyer un message Ă  ceux qui pensent ĂŞtre Ă  l’abri de l’automatisation : mĂŞme les professions expertes auxquelles on accède Ă  minimum bac + 5 n’échapperont pas Ă  une forme de « substitution logicielle Â», comme l’appelle Bill Gates.

En clair, les cols blancs sont autant menacés par les progrès de la technologie que les caissières de supermarché. Deux économistes de l’université de Chicago, Loukas Karabarbounis et Brent Neiman, ont d’ailleurs montré qu’aux Etats-Unis le taux de chômage des salariés qualifiés avait doublé entre 2000 et 2012.

A quel point Ross menace-t-il l’emploi des avocats ? Selon Bruno Dondero, professeur de droit Ă  l’universitĂ© Paris-I, Ross n’est rien d’autre qu’un logiciel juridique très performant avec un joli prĂ©nom qui permettra de brasser de la jurisprudence, une fonction nĂ©vralgique pour les avocats aux Etats-Unis, pays de la common law oĂą l’analyse des dĂ©cisions antĂ©rieures consomme l’essentiel du temps de prĂ©paration d’une affaireNi plus ni moins.

Source et suite : LE MONDE